[ Page principale |Appel : Croyez à l'évangile | La Bible ]

 

Barthélemy Milon

 

 

Barthélemy Milon naquit à Paris au commencement du 16° siècle. Il était le fils d’un pauvre savetier. Dans la maison paternelle, il n’y avait ni luxe, ni confort d’aucune sorte, mais en revanche le besoin venait souvent y élire domicile, et on ne savait parfois d’où viendrait le pain pour le lendemain. Malgré cela, Bartholo (c’est ainsi qu’on appelait le jeune garçon) grandissait et se fortifiait. Ses camarades admiraient son adresse, sa vigueur et son intelligence ; tous reconnaissaient sa supériorité et se pliaient à ses caprices. Le père de Bartholo s’inquiétait fort peu de lui et le laissait courir les rues du matin au soir, et souvent aussi du soir au matin.

Parvenu à l’adolescence, Bartholo devint le chef accrédité d’une bande de jeunes vauriens qui se livraient à des folies de toute sorte. Il avait une haute opinion de ses propres capacités et ne manquait aucune occasion de les faire valoir aux yeux de ses camarades. Audacieux au point de ne jamais s’apercevoir du danger, il se jetait à corps perdu dans les querelles et les bagarres si fréquentes à cette époque dans les rues de Paris, et s’il n’en ressortait pas toujours vainqueur, du moins s’y couvrait-il de gloire aux yeux de ses compagnons. De cette manière, il satisfaisait les aspirations de son caractère ambitieux et tyrannique.

Le garçon sauvage et indiscipliné devint un jeune homme ardent et volontaire, qui cherchait à étancher sa soif insatiable en vidant jusqu’au fond la coupe des plaisirs que peut offrir ce monde. Bartholo ne connaissait aucun frein ; il se livrait avec passion à ses penchants dépravés et avançait à grands pas sur le chemin large qui mène à la perdition.

Élevé au sein de l’Église romaine, il en méprisait les enseignements et tournait en ridicule les prêtres dont trop souvent la vie offrait un triste exemple. Quant aux vrais chrétiens, ceux que Bartholo entendait qualifier « d’hérétiques » ou de « huguenots, » il les détestait de toute son âme et ne leur épargnait à l’occasion ni les moqueries ni les mauvais procédés.

Ainsi vivait Barthélemy Milon, lorsque Dieu l’arrêta soudain sur cette pente funeste. Un jour, dans une des expéditions aventureuses dont il était coutumier, Bartholo fit une chute et se cassa plusieurs côtes. Il se traîna à grand’peine jusque chez lui en gémissant et en blasphémant et, refusant tout secours médical, il déclara qu’il se soignerait lui-même. D’abord tout alla bien ; les blessures semblèrent se cicatriser, et Bartholo songeait à reprendre sa vie d’autrefois lorsque soudain les vraies conséquences de sa chute se firent sentir. L’épine dorsale avait probablement été lésée, car peu à peu le jeune homme perdit l’usage de ses jambes et, après quelques mois, il devint complètement infirme.

Le malheureux garçon, jadis si fort et si téméraire devint faible comme un petit enfant ; il passait sa journée assis dans un fauteuil à la fenêtre de l’échoppe de son père. Heureusement pour lui, il pouvait encore se servir de ses mains et pourvoyait ainsi à son entretien journalier, mais il était incapable de faire un pas sans l’aide d’autrui. Chaque mouvement lui causait de terribles douleurs. La main de Dieu s’appesantissait sur Bartholo, mais sa volonté ne se brisait pas et son orgueil demeurait indomptable. Son cœur était rempli de mauvaises pensées ; le mécontentement et la révolte se lisaient sur son visage. La jalousie que Bartholo ressentait contre tous ceux qui n’étaient pas affligés comme lui, se traduisait par des saillies mordantes et des moqueries acerbes qu’il lançait aux passants, coupables d’avoir jeté un regard trop inquisiteur de son côté. La haine du malheureux pour les prêtres et pour tous ceux qui avaient une apparence cléricale, ne faisait que s’accentuer chaque jour davantage.

C’était l’époque où chacun parlait de Luther, le moine allemand qui avait osé élever sa voix contre le pape et les dogmes de l’Église romaine. Les doctrines évangéliques, remises en lumière par le grand réformateur, avaient trouvé en France de nombreux adhérents, et les huguenots, comme on les appelait, jouissaient à ce moment-là d’une liberté relative.

Un jour, Bartholo vit passer devant sa fenêtre un homme qu’il reconnut pour être un pasteur huguenot. Selon son habitude, l’infirme l’invectiva par quelques paroles grossières, accompagnées d’un blasphème affreux. Le pasteur s’arrêta, évidemment surpris d’entendre des expressions pareilles sortir, sans la moindre provocation de sa part, de la bouche d’un jeune malade. Il fixa ses yeux sur Bartholo et une expression de tendre pitié se répandit sur sa figure. S’approchant de la fenêtre, il dit tranquillement :

« Malheureux jeune homme ! pourquoi vous moquer ainsi de moi ? pourquoi surtout blasphémer ainsi le saint nom de Dieu ? Ne voyez-vous pas que Dieu vous a frappé dans votre corps, afin de délivrer votre âme de la servitude du péché ? »

Ayant dit ces mots, l’étranger s’éloigna. Grande avait été la surprise de Bartholo ; profondément saisi, il ne pouvait détacher ses regards du pasteur qui s’en allait paisiblement. « Délivrer mon âme ? qu’est-ce que cela signifie ? » pensait l’infirme.

En ce moment, le pasteur sembla se raviser ; il revint sur ses pas, s’approcha encore une fois de la fenêtre près de laquelle Bartholo était assis, et tirant un volume de dessous les plis de sa robe, il le lui tendit en disant : « Lisez ceci, mon pauvre ami, et lorsque je repasserai par ce chemin dans quelques jours, vous me direz ce que vous en pensez ».

Bartholo prit le livre que lui tendait le pasteur et l’ouvrit aussitôt. C’était une partie du Nouveau Testament, trésor d’un prix inestimable à une époque ou les livres étaient très rares et très chers.

Bartholo se mit à lire et plus il lisait, plus il se sentait pénétré par le contenu du précieux volume. Ce livre lui parlait de son âme, de son état de péché, de la nécessité du salut ; mais surtout et toujours de Christ, le Sauveur, qui est venu dans ce monde pour chercher et sauver ce qui était perdu. Peu à peu chez Bartholo, la curiosité, qui d’abord seule l’avait poussé à persévérer dans sa lecture, se changea en admiration, et à l’admiration s’ajouta bientôt un profond respect. À mesure qu’il lisait, des sentiments étranges se réveillaient dans son cœur. Il se vit lui-même et sa vie passée à la lumière de Dieu, et il comprit que Jésus Christ seul pouvait effacer ses péchés.

Ceux qui l’entouraient étaient surpris du changement qui se produisit bientôt dans la conduite et la manière d’être de l’infirme, mais personne ne songea à l’interroger.

À quelque temps de là, le pasteur huguenot revint auprès de Bartholo. Quelle ne fut sa surprise lorsqu’il se vit accueilli non plus par des injures et des paroles profanes, mais par un sourire de cordiale bienvenue. « Approchez, Monsieur, lui cria Bartholo, du plus loin qu’il l’aperçut. Le Seigneur m’a sauvé dans sa grâce. Réjouissez-vous avec moi. Dieu a pardonné au fils prodigue. Son amour est si grand ; nous devons le proclamer au monde entier ! »

 

Mes jeunes lecteurs peuvent se figurer la joie du serviteur du Seigneur en constatant une œuvre de Dieu si réelle et si prompte dans ce cœur rebelle et révolté. Ce que Dieu fait est merveilleux. Il nous semble parfois qu’il agit trop vite, ou parfois au contraire, qu’il travaille trop lentement, mais c’est toujours sa sagesse et son amour éternel qui sont en jeu, et il ne se trompe jamais. Lorsque nous pourrons contempler le chemin parcouru et comprendre l’ensemble de son oeuvre, il n’y aura de place dans nos âmes que pour la louange et l’adoration.

Bartholo avait servi de tout son cœur son premier maître, Satan. À partir de ce jour-là, il se mit tout entier, corps et âme, au service du Seigneur Jésus. Non content d’être lui-même un chrétien, il brûlait de partager avec d’autres le trésor qu’il avait trouvé. Il parlait de Jésus à ses parents, à ses amis, aux clients de son père ; aucun obstacle ne l’arrêtait. Le moqueur d’autrefois était devenu un évangéliste.

Bartholo avait une belle voix et savait jouer de divers instruments. Jadis il avait l’habitude de chanter des refrains frivoles, dans les tavernes et les cabarets ; dès le moment de sa conversion, il consacra son talent de musicien au Seigneur qui le lui avait confié. Matin et soir il chantait des cantiques en s’accompagnant sur sa guitare, et les voisins se pressaient autour de sa fenêtre pour ne rien perdre de ces accents harmonieux. Bartholo saisissait alors l’occasion propice, et leur parlait de la grâce et de l’amour de Dieu.

Souvent aussi les enfants du voisinage venaient se grouper autour de son fauteuil. Nul ne savait mieux que Bartholo raconter une histoire intéressante ; il captivait ainsi l’attention de ses jeunes auditeurs, et jamais il ne leur permettait de se retirer avant de leur avoir lu et fait apprendre quelque passage de la parole de Dieu.

Bartholo employait ses loisirs forcés à graver des ornements sur les lames des sabres et des épées. Il était devenu fort habile à ce métier et les orfèvres le payaient bien. L’argent gagné de cette manière était aussi consacré au service du Maître. Après en avoir remis une partie à ses parents, Bartholo distribuait le reste à ceux de ses compatriotes que la persécution avait réduits à la misère.

Ainsi se passèrent quelques années. François ler, souverain inconstant et immoral, après avoir favorisé les huguenots, était devenu leur plus cruel ennemi. Les bûchers s’élevaient par toute la France ; le roi n’avait plus qu’un but : extirper à tout prix « l’hérésie luthérienne ». Il était interdit sous peine de mort de lire la Bible ou les ouvrages des réformateurs. Tous les exemplaires que l’on pouvait découvrir étaient brûlés sur la place publique par la main du bourreau. Les pasteurs huguenots étaient traqués d’un endroit à l’autre comme des perdrix sur les montagnes ; ceux qui le pouvaient, quittaient le pays pour aller se réfugier en Hollande ou en Angleterre ; d’autres, ne voulant pas abandonner leurs frères, étaient jetés en prison, sommairement jugés et cruellement mis à mort.

Malgré tous les obstacles, le zèle des huguenots ne se refroidissait pas. N’osant plus prêcher publiquement, ils cherchaient par d’autres moyens à faire connaître la bonne nouvelle du salut gratuit par la foi en Christ. Pendant une sombre nuit d’arrière-automne, quelques hardis partisans de la « nouvelle doctrine » apposèrent sur les bâtiments publics et dans les principales rues de Paris, des affiches imprimées énonçant en grandes lettres bien lisibles les principes de la foi chrétienne. De nos jours, le procédé peut sembler discutable, mais nous devons nous rappeler que dans ce temps-là les difficultés sans nombre apportées à la prédication de l’Évangile justifiaient une manière de faire que nous aurions peine à accepter dans ce siècle de liberté et de tolérance. Grand fut l’étonnement des Parisiens à la vue de ces affiches ; partout des groupes de curieux se rassemblaient pour les lire et en commenter le texte. Les prêtres étaient hors d’eux-mêmes et recherchaient activement les auteurs de cet attentat contre la sainte Église romaine. Une des premières maisons que l’on visita, fut celle de Bartholo. On savait bien que l’infirme n’avait pu lui-même poser les affiches, mais on ne le soupçonnait pas moins d’avoir été associé à l’affaire.

Bartholo était assis à sa place habituelle auprès de la fenêtre, lorsqu’une troupe de soldats pénétra dans la boutique.

— Lève-toi, lui cria rudement le commandant.

— Je ne le puis, Monsieur, répondit doucement Bartholo. Il en est Un seulement qui aurait la puissance de me faire tenir debout. Je suis paralysé

Le commandant se détourna avec un mouvement d’humeur et ordonna à ses hommes de fouiller la maison. Malheureusement pour Bartholo, quelques exemplaires des affiches fatales furent trouvés dans une caisse où il serrait ses papiers.

— Emmenez ce vil hérétique, ordonna le commandant, et, triomphants d’une joie mauvaise, les soldats traînèrent à leur suite, à travers les rues, le malheureux infirme qui ne pouvait leur offrir la moindre résistance.

Avec six autres prisonniers, Bartholo fut jeté dans un sombre cachot. Le lendemain déjà ils comparaissaient devant le tribunal et, après un semblant d’interrogatoire, les sept amis furent condamnés à périr sur le bûcher.

À l’ouïe de cette terrible sentence, Bartholo et ses compagnons ne laissèrent voir aucune émotion. Heureux et confiants, ils savaient en qui ils avaient cru et regardaient comme un honneur d’être appelés à souffrir pour le nom de Celui qui avait laissé sa vie pour eux. Le pauvre infirme qui, à cause de sa faiblesse corporelle, avait le plus à se plaindre de la cruauté de ses persécuteurs, ne pensait qu’à aider et à encourager ses amis. Il les consolait par sa patience et sa sérénité, dirigeant leurs yeux vers le Sauveur qui a promis d’être avec les siens jusqu’au bout de la course.

Afin d’impressionner le peuple et de le frapper d’un salutaire effroi, le Parlement avait décidé d’exécuter les prisonniers les uns après les autres dans des lieux différents. Le 13 novembre 1534 fut le jour fixé pour le supplice de Bartholo.

Comme il ne pouvait marcher, on le mit sur une charrette et on lui fit traverser lentement les principaux quartiers de la ville. Par un raffinement de cruauté, on ordonna que le cortège passât devant la maison paternelle du condamné, cette maison où il avait été autrefois si malheureux, mais où plus tard, malgré ses souffrances physiques, il avait connu la joie ineffable que le monde ne peut donner.

Le bûcher était dressé lorsqu’ils atteignirent l’emplacement choisi pour l’exécution. Bartholo fut couché sur le bois et bientôt les flammes firent entendre leur pétillement sinistre.

« Modérez le feu, » crie l’officier qui dirige l’œuvre inique ; « la sentence porte que l’hérétique maudit doit brûler lentement ». Mais Bartholo n’entend rien ; on pourrait croire qu’il ne sent pas l’ardeur de la flamme ; ses mains sont jointes, ses regards sont dirigés en haut, et de ses lèvres s’échappe une fervente prière à Celui qui l’a aimé et qui s’est donné Lui-même pour lui.

Beaucoup de ses amis et de ses frères dans la foi sont cachés parmi la foule ; ils ont voulu par leur présence soutenir jusqu’à la fin le courage du martyr. Ils pleurent et frémissent à la vue des flammes qui s’élèvent toujours plus et qui bientôt enveloppent entièrement le bûcher. Et Bartholo ? Ah ! quel bonheur que le sien ! Quelques instants de lutte et de souffrance et puis il entre dans la joie de son Seigneur. Pour lui la couronne de vie, pour lui la parole : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur ». En vérité, « les souffrances du temps présent ne sont pas dignes d’être comparées avec la gloire à venir qui doit nous être révélée ».

Plus de quatre siècles se sont écoulés depuis le jour où Barthélemy Milon souffrit la mort pour le Sauveur qu’il aimait. La venue du Seigneur est bien proche. Très peu de temps encore et tous ceux qui auront été trouvés fidèles resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Et vous, cher lecteur, où serez-vous ? Il n’y a pas trois chemins. « Regarde, j’ai mis aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur. ... Choisis la vie, afin que tu vives » (Deutéronome 30:15:19).