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Un transgresseur de la loi

 

 

Jamais je n’oublierai, nous écrit un pasteur hollandais, le temps que j’ai passé dans un petit village, au milieu de paysans dont la simplicité et la cordialité avaient gagné mon affection. La plupart d’entre eux avaient un long chemin à faire pour se rendre au modeste petit temple où je prêchais deux fois le dimanche et une fois la semaine. Qu’il fît beau ou mauvais temps, les plus âgés tout au moins y venaient régulièrement, et m’écoutaient avec un grand sérieux. Leur costume ne manquait pas de pittoresque ; les femmes avaient d’amples châles et des bonnets aux couleurs voyantes, les hommes avec leurs hauts cols blancs, largement cravatés de noir, étaient entièrement rasés, car le port de la barbe ou de la moustache était considéré parmi eux comme particulièrement mondain. Je me sentais à l’aise parmi ces braves gens, et j’étais heureux d’exercer mon ministère au milieu d’eux.

À dix minutes environ du temple demeurait un fermier du nom de Venning. Fort, de taille moyenne, bien bâti, il avait une physionomie aimable et caractéristique. Son hospitalité et sa conduite affable le faisaient aimer de chacun ; depuis nombre d’années, il accueillait chaque dimanche matin et réconfortait par une bonne tasse de café ceux qui, se rendant au culte, passaient devant sa maison. Il se chargeait gratuitement de tout ce qui était nécessaire pour le service du temple, et personne ne se réjouissait plus que lui de voir les bancs bien garnis et tout le monde content. Cependant, si précieuses que fussent toutes ces qualités, il y avait un mais, et un mais très important. Venning portait un réel intérêt au temple et à ceux qui le fréquentaient, mais il n’allait pas au-delà, il ne possédait pas la vie de Dieu. D’un commerce agréable et facile, compatissant pour les pauvres, il était honnête et droit. Mais avec tout cela, il était pénétré du sentiment de sa bonté et croyait fermement que l’entrée du ciel lui était assurée, plus qu’à nul autre.

Déplorable illusion ! Cet homme, malgré toute son excellence ne pouvait pas entrer au ciel par ses propres mérites ; c’est ce que je m’efforçais de lui expliquer, d’autres le firent aussi, mais en vain.

 

« Mon cher Venning, lui dis-je un jour, vous êtes comme celui qui, arrivé devant la porte de la maison, reste dehors. Pourquoi donc refusez-vous d’entrer ? car, tel que vous êtes, vous vous trouvez encore dehors. Nous savons tous que vous faites beaucoup pour le Seigneur, mais vous ne lui donnez pas votre coeur, tandis que Dieu dit : Mon fils, donne-moi ton coeur ». — Secouant la tête, le fermier répondit : « Je ne vois pas pourquoi je devrais devenir meilleur que je ne suis. Je ne veux pas me vanter, mais je ne crois pas me tromper en prétendant que je ne suis pas plus mauvais que ceux qui se vantent d’être des enfants de Dieu ». Je lui fis remarquer qu’il ne s’agissait pas pour lui de devenir meilleur, mais que toutes ses vertus ne l’empêchaient pas d’être un pécheur et que pour paraître devant un Dieu juste et saint, il avait besoin du salut. Je lui représentai que Dieu n’a que faire de propres-justes, et qu’Il nous dit dans sa Parole : « Il n’y a point de juste, non, pas même un seul.... Il n’y en a aucun qui exerce la bonté, il n’y en a pas même un seul, » donc vous non plus, Venning. Puis : « Tous ont péché et n’atteignent pas à la gloire de Dieu, » donc vous non plus, Venning, mais écoutez la suite : « Étant justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus ». Je le suppliai de croire la parole de Dieu qui dit que nulle chair ne sera justifiée devant lui par ses propres oeuvres, mais seulement par le sang du Seigneur Jésus Christ. Tout fut inutile. Bien qu’il ne se montrât pas blessé par mon exhortation, il ne la prit pas à coeur ; il me répondit avec un sourire : « Je voudrais bien que beaucoup de soi-disant enfants de Dieu fussent comme moi ! Certes, ce ne serait pas un mal ». Hélas ! il n’est que trop vrai qu’un homme tel que Venning peut f aire honte à nombre de vrais chrétiens. J’en convins, tout en l’avertissant que par là, il n’était pas justifié, qu’un jour il aurait affaire personnellement à Dieu, et qu’il lui faudrait rendre compte pour lui-même. Mais tout ce que je lui dis ou lui citai de la parole de Dieu ne servit de rien.

Après quelque temps de ministère dans cette paroisse, je fus appelé ailleurs ; je perdis Venning de vue, mais je continuai à penser souvent à lui dans mes prières. Ce n’est qu’après plusieurs années qu’il me fut accordé de retourner dans mon ancien cercle d’activité et de le revoir. Quoique toujours le même quant à son extérieur, il m’apparut comme un autre homme ; l’expression de son visage était changée, ses yeux rayonnaient de joie ; puis, dans la soirée, je le retrouvai avec quelques amis à une étude biblique à laquelle il prit part avec tant de coeur et simplicité, que j’en fus profondément réjoui.

Lorsque je fus seul avec mon hôte, je lui demandai :

« Qu’est-il donc arrivé au fermier Venning ? Il est absolument transformé ».

— C’est une histoire frappante, reprit mon hôte ; c’est l’effet d’une épizootie.

— Comment ? d’une épizootie, dis-je tout étonné. Son étable a-t-elle été infectée ?

— Non, ce n’est pas cela. Mais vous savez que ses terres s’étendent des deux côtés du ruisseau qui délimite nos deux provinces. Or, pendant que l’épidémie sévissait, il y avait interdiction formelle de faire passer le bétail d’une province dans l’autre. Les agents étaient tenus par l’autorité de faire observer l’édit rigoureusement. Un beau jour, Venning fit paître ses vaches, le matin sur l’un des bords du ruisseau, l’après-midi sur l’autre, pensant que ce changement leur serait profitable. Sans s’en douter, Venning avait transgressé la loi. Un agent de police s’en étant aperçu, se présenta aussitôt. Venning alla au devant de lui et le salua cordialement. Sans lui rendre son salut, l’agent commença d’un ton bref : « Sont-ce vos vaches qui sont de l’autre côté du ruisseau ? ». « Oui, ce sont les miennes », répond le fermier, se demandant pourquoi cette question. « Mais elles étaient de côté-ci, ce matin, n’est-ce pas ? ». « Oui, certainement ». « Et vous les avez menées sur l’autre bord ? ». « Sans doute, qui d’autre l’aurait fait ? » répond le fermier en riant. « Il n’y a pas là de quoi rire », répliqua le fonctionnaire. « Devrais-je donc pleurer ? continue Venning, toujours plaisantant. À quoi donc voulez-vous en venir ? ». « C’est bien simple : vous avez fait passer vos vaches d’une province dans l’autre ! ». Et ce disant, il se redressait, comme une personnification de la loi transgressée. « Quelle bêtise, dit le fermier, devenant plus grave, je n’ai fait que mener mes bêtes d’un pré dans l’autre ». « Vous avez fait passer votre bétail d’une province dans l’autre, répéta l’agent, scandant chaque mot, et cela signifie amende ou prison ». « Vous ne parlez pas sérieusement. Vous n’allez pas faire du bruit pour si peu de chose ». « Je ferai mon rapport au commissaire de police, portant que vous avez conduit votre bétail d’une province dans l’autre, tout en sachant que cela est défendu. Si vous pouvez vous expliquer avec mon chef, très bien ; quant à moi, je dois faire mon devoir ». « Mais pour une simple vétille ! » dit Venning. « Une vétille ! reprend l’autre avec sérieux. Est-ce une vétille que de transgresser un commandement positif du roi. Si la chose vous paraît insignifiante, elle me semble à moi très importante ». Venning se tut. L’affaire prenait une tournure plus grave qu’il n’avait pensé. « Que dois-je faire ? » demanda-t-il enfin. « Je n’en sais rien. Je vais chez le commissaire. Si vous avez envie de m’y accompagner et d’exposer vous-même votre cas, je le veux bien. Vous saurez tout d’un temps ce qu’il en pense ».

Après un moment de réflexion, et bien qu’il n’admît encore en aucune façon la gravité de l’incident, Venning se décida à suivre l’agent, car, se dit-il, puisque je vais être accusé, autant vaut me défendre moi-même. Il sella donc son cheval, car le chemin était long, et se mit en route, aux côtés de l’agent. Vous pouvez comprendre la confusion du fermier, lui qui s’était toujours vanté de n’avoir jamais failli à son devoir et qui maintenant était accusé d’avoir transgressé la loi. Dans le village, sur leur passage, les gens s’arrêtaient ébahis. « Mais c’est M. Venning, avec un agent de police, s’écria l’un d’entre eux ; regardez-le donc ! ne dirait-on pas que sa dernière heure a sonné. Qu’est-ce que cela signifie ? ». Nos deux hommes poursuivaient leur chemin sans mot dire. Enfin, comme se parlant à lui-même, Venning dit : « Une loi est une chose effrayante ; on s’en aperçoit quand on y pense ». Flatté par cette remarque, l’agent la souligna d’un signe de tête approbateur. Le fermier commençait donc à comprendre l’importance d’un homme qui a mission de faire respecter la loi. Au bout d’un moment, ralentissant sa marche, il dit d’une voix solennelle : « Oui, quand on y pense, on voit qu’il n’y a rien de plus effrayant que la loi ». Involontairement Venning avait arrêté son cheval ; il regardait anxieux, son compagnon, désirant savoir pourquoi la loi est à tel point redoutable. Mais il resta sans réponse, et tous deux se remirent en marche. L’agent reprit enfin : « Oui, c’est un sujet qui m’a déjà souvent préoccupé dans mes courses solitaires, quelle chose sérieuse et importante que la loi ! ». Le ton de l’agent s’était adouci ; il lui était agréable d’avoir trouvé quelqu’un qui l’écoutât et qui reconnût l’importance de sa charge. Mais il ne savait pas que ses paroles étaient semblables à autant d’épées atteignant Venning jusqu’au fond de l’âme. Au bout d’un moment il reprit : « C’est une chose effrayante que la loi, et cela pour de bonnes raisons. Sans elle, tout serait sens dessus dessous. C’est la loi qui maintient tout en ordre, les maisons, les champs, le commerce ; elle garantit la sécurité des hommes, du bétail, de la propriété. S’il n’y avait pas de loi, un homme quelque peu fort pourrait impunément se saisir de tout ce qui vous appartient, le détruire, vous tuer vous-même ; ne serait-ce pas affreux ? ». « Je le crois bien, » répondit Venning. « Vous-même, vous ne seriez plus en sûreté dans votre propre maison, vous ne pourriez pas vaquer à vos affaires, si vous n’étiez pas protégé par la loi. Elle est pour nous une base et un appui. Qui pourrait acheter, ou vendre, ou faire des affaires, ou se marier, que sais-je, s’il n’y avait pas de loi pour rappeler chacun à son devoir et pour punir sans distinction tout transgresseur. Voilà pourquoi la loi est redoutable ». Venning se rendait toujours plus à l’évidence, et l’angoisse agitait son cœur, car il venait, lui, d’enfreindre la loi. Sans se douter de l’accablement de Venning, l’agent continuait : « Évidemment la grande affaire est d’être du bon côté de la loi, car alors vous avez tout pour vous, le roi, ses ministres, le pouvoir sur terre et sur mer, le gouvernement et la police, tout est avec vous et pour vous. Mais se trouve-t-on du mauvais côté de la loi, tout va mal ». Ayant épuisé son sujet et son savoir, l’agent se tut ; mais les pensées du fermier continuaient leur cours, et certes, elles n’étaient pas roses. Pendant les discours de son compagnon, il lui semblait entendre une voix murmurant à son oreille : « Tout cela se rapporte à une loi humaine ! et si celle-ci est déjà aussi redoutable, combien terrible doit être la loi de Dieu ; si dans ce monde, les juges frappent chaque petit délit, combien plus Dieu, le Dieu saint ne doit-il pas punir les transgresseurs de sa loi ». De plus en plus Venning se rendait compte que devant le Juge suprême, son cas n’était pas bon, comme il l’avait cru jusqu’alors.

J’ignore l’issue de cet incident, me dit mon hôte en terminant ; je crois que le commissaire de police n’y attacha aucune importance, mais ce que je sais bien, c’est qu’il produisit une profonde impression sur Venning ; il avait cru jusque-là que Dieu passait par-dessus de petits péchés ; maintenant ses yeux s’ouvraient, et il reconnaissait qu’il avait affaire à un Dieu juste et saint, et que du moment qu’il avait manqué en un point, il était coupable d’avoir enfreint toute la loi. Aussitôt rentré chez lui, il se réfugia dans sa chambre et, dans le sentiment de ses nombreuses transgressions, il répandit son cœur devant Dieu, profondément humilié et sincèrement repentant. Sa conscience réveillée lui reprochait par-dessus tout d’avoir fait Dieu menteur en refusant de s’appliquer à lui-même cette déclaration de Dieu : « Il n’y a pas de juste, non, pas même un seul ». Et Dieu qui avait commencé en lui une bonne oeuvre, l’acheva pour sa gloire. Venning trouva le pardon de ses péchés et la paix, non pas sur la base de ses œuvres, mais sur celle du sacrifice que le Seigneur Jésus Christ a accompli à la croix. Il comprit que Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en ce qu’Il est la fin de la loi pour justice à tout croyant (Gal. 3:13 ; Rom. 10:4).

Dès ce moment, Venning fut en bénédiction dans toute la contrée, et le Seigneur l’emploie beaucoup pour l’accomplissement de ses voies de grâce envers plusieurs.

Car quiconque gardera toute la loi, et faillira en un seul point, est coupable sur tous (Jacq. 2:10).

C’est pourquoi tu es inexcusable, ô homme, qui que tu sois qui juges ; car en ce que tu juges autrui, tu te condamnes toi-même (Rom. 2:1).

Car il n’y a pas de différence, car tous ont péché et n’atteignent pas à la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus (Rom. 3:23, 24).